« LA TRADITION EST EN MOUVEMENT »

        « Avant tout, dit le pape, je voudrais définir ce qu’est la tradition. La tradition, ce n’est pas un immuable compte en banque. La tradition, c’est la doctrine qui est en chemin, qui avance. »   Il ajoute : « Et c’est vous, les Français, qui avez dit une très belle phrase, qui date du Ve siècle. Elle est de Vincent de Lérins, un moine et théologien français qui dit que « la tradition est en mouvement ». Comment ? Il dit cela en latin : « Ut annis scilicet cosolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate » : la tradition avance, mais selon quelles modalités ? » Le pape traduit : « De façon à ce que, avec les années, elle se consolide, pour qu’elle grandisse avec le temps et soit sublimée avec l’âge. Les critères de la tradition ne changent pas, l’essentiel ne change pas, mais elle grandit, évolue. »

Le pape François propose des exemples. Tout d’abord, la peine de mort : « Nos évêques ont décrété la peine de mort au Moyen Age. Aujourd’hui, l’Eglise dit plus ou moins – et on travaille pour changer le catéchisme sur ce point – que la peine de mort est immorale. La tradition a-t-elle donc changé ? Non, mais la conscience morale évolue. »

Autre exemple, l’esclavage. Le pape cite le saint jésuite dont il va visiter la maison en Colombie, à Cartagena, dimanche prochain : Pierre Claver (1580-1654) : « C’est la même chose concernant l’esclavage.     Il y a des esclaves mais c’est immoral. En revanche, quand saint Pierre Claver, en Colombie, travaillait auprès des esclaves, il était réprimandé, parce que certains doutaient qu’ils aient une âme. »

« Dans la tradition dynamique, l’essentiel demeure : ne change pas, mais grandit. Grandit dans l’explicitation et la compréhension », explique le pape François qui poursuit son commentaire de St Vincent de Lérins avec ce maître mot de la croissance humaine, le dialogue: « Ces trois phrases de Vincent de Lérins sont importantes. Comment grandit la tradition ?    Elle grandit comme grandit une personne : par le dialogue qui est comme l’allaitement pour l’enfant. Le dialogue avec le monde qui nous entoure. Le dialogue fait croître.

Si on ne dialogue pas, on ne peut pas grandir, on demeure fermé, petit, un nain. Je ne peux pas me contenter de marcher avec des œillères, je dois regarder et dialoguer. Le dialogue fait grandir et fait grandir la tradition.»  «En dialoguant et en écoutant une autre opinion, je peux, comme dans le cas de la peine de mort, de la torture, de l’esclavage, changer mon point de vue. Sans changer la doctrine. La doctrine a grandi avec la compréhension. Ça c’est la base de la tradition », affirme le pape avec des accents qui rappellent le bienheureux Henry Newman. Dominique Wolton fait observer que «la dévalorisation systématique de la tradition depuis un siècle a fait beaucoup de dégâts» mais aussi que la tradition n’est pas du « conservatisme », que c’est «autre chose».

« C’est autre chose, reprend le pape. Ça ne change pas la doctrine, la vraie doctrine. Mais cela fait grandir la conscience, cela permet de mieux la comprendre, c’est le dialogue selon les critères de Vincent de Lérins, toujours dans Commonitorium… »          Dans son Commonitorium, disponible ici en version bilingue, St Vincent donne en effet des critères pour discerner entre l’erreur et la foi catholique, avec trois critères : universalité, antiquité et unanimité. Il fait en même temps observer qu’il existe un progrès dans les sciences théologiques, « selon leur nature particulière, c’est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, et dans la même pensée ».

Le pape François cite un ami de Newman: le pape Benoît XVI: « Le pape Benoît a dit quelque chose de très clair: les changements dans l’Eglise doivent être faits avec l’herméneutique de la continuité. Une belle phrase. L’herméneutique grandit: certaines choses changent mais c’est toujours en continuité. Elle ne trahit pas ses racines, elle les explicite, ce qui la fait mieux comprendre. »       Plus loin, le pape ajoute qu’il s’agit de « grandir » et pas d’idéologie : « La tradition ne peut en aucun cas être idéologique (…). La tradition, quand elle devient une idéologie, ce n’est plus la tradition. Elle n’est plus vivante. » Abbé Franklin Parmentier, Curé de la Paroisse Saint-Vincent de Lérins

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