L’édito de novembre

TOUS   SAINT 

 

Que les eaux foisonnent d une profusion d êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. Mon Dieu, tu es grand, tu es beau,

      À la joie, je t’invite. C’est le titre d’un livre qu’on nous lit en ce moment au réfectoire.
      À la joie, je t’invite. Ne pensez-vous pas qu’on pourrait donner ce titre à l’évangile que nous venons d’entendre ? Jésus gravit la montagne, il s’assied, avec ses disciples autour de lui, et une grande foule qui est venue l’entendre. Et voilà que sortent de sa bouche des mots qui viennent du profond de son cœur : Heureux les pauvres de cœur, car le Royaume des cieux est à eux ! Heureux les doux, ils recevront la terre en héritage ! Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés !

       Et il continue à dérouler cette annonce de bonheur, à déverser les grandes eaux du ciel comme des vagues qui, l’une après l’autre, viennent tantôt saluer, tantôt s’écraser, tantôt éclabousser la terre et ses habitants ! Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux!

La Toussaint, c’est donc une fête où la joie du ciel déborde sur la terre, une fête où le monde entier s’entend dire de la bouche du Très Haut : À la joie, je t’invite. Un jour comme celui-ci, il peut être bon de se demander : suis-je heureux ? Suis-je vraiment heureux ? Et pourquoi ? C’est la question que j’ai posé tout récemment à plusieurs moines d’un monastère que je visitais. Est-ce que tu es heureux et pourquoi ? Ce n’est pas une question piège ! D’ailleurs, c’est la question que saint Benoît, dans sa Règle, pose au candidat à la vie monastique : « veux-tu voir des jours heureux ? » Si oui, alors, essaie cette toute petite règle de vie, ce chemin que je te propose pour vivre de l’évangile ! À la joie, je t’invite !

Es-tu vraiment heureux ? En posant une telle question, il ne s’agit pas bien sûr de méconnaître ce qui fait la pâte de ma vie aujourd’hui. Si je suis malade ou si j’ai perdu un être cher, j’en suis forcément affecté, et ça sonnerait faux de  répondre comme si rien n’était : « bien sûr que je suis heureux ! » Mais par ailleurs, si je suis en bonne santé ou que j’ai le plaisir de vivre un grand amour ou une grande amitié, est-ce que ça sonne forcément juste de dire : « bien sûr, je suis heureux ! » ? Car la véritable question est celle-ci : De quel bonheur parlons-nous ?

Pour comprendre le bonheur dont parle Jésus et pour en vivre, il faut bien distinguer ce qui fait notre vie profonde et ce qui en est la surface. A ce niveau, il n’est pas sûr que le bien portant soit plus heureux que le malade, il n’est pas sûr que la personne en deuil soit moins heureuse que la jeune mariée. Le bonheur auquel Jésus invite ne se confond pas avec les circonstances de notre vie présente. Le propre des circonstances, c’est d’être autour d’un centre, et donc de changer tandis que le centre demeure immuable : aujourd’hui, je suis malade, demain je serai bien portant ; aujourd’hui, j’ai un travail qui m’intéresse, demain, qui sait ? Je serai peut-être au chômage ; aujourd’hui, tout le monde m’applaudit, mais demain la foule peut se retourner contre moi ! Combien de politiques, combien de stars sont tout à coup malheureux de ne plus être réélus ou ovationnés ? Que valait donc leur bonheur au temps de leur gloire ? Pas plus cher que l’herbe qui fleurit et qui demain se fane !

À l’inverse, le bonheur que Jésus annonce sur la montagne reste intact, quelles que soient les circonstances. Que l’on soit dans les roses ou dans les ronces, il est là, toujours là, comme la sève qui donne vie tantôt à la rose et tantôt à la ronce ! Qui ne sait d’ailleurs que les plus belles roses, celles qui ne sont pas artificielles et dont le parfum est le plus exquis, ont des épines ? Qui ne se griffe aux ronces les plus méchantes sans y trouver quelque part, cachée dans le fourré d’épines, des mûres ou des roses que l’on dit sauvages mais qui implorent notre pardon ?

Le bonheur que Jésus annonce ne dépend ni des roses ni des épines. Il est intact, ce qui ne veut pas dire qu’il est insensible. Il est pauvre, ce qui ne veut pas dire qu’il est incapable de combler, sinon le grand saint Paul n’aurait jamais dit en parlant de lui et des apôtres : on nous prend pour des pauvres, nous qui faisons tant de riches, pour des gens qui n’ont rien, nous qui possédons tout. Le bonheur que Jésus nous propose est plein de douceur, ce qui ne veut pas dire qu’il est dépourvu de force. C’est un bonheur qui pleure avec ceux qui pleurent, qui lutte sans relâche contre toute forme d’injustice, qui pardonne à qui nous offense, qui choisit la rude pureté de l’âme et du corps au lieu de la pornographie facile et à bon marché, qui œuvre inlassablement pour la paix là où la guerre n’en finit pas.

Chers frères et sœurs, vous l’avez compris, ce bonheur que personne ne peut nous ravir, ne vient pas de cette terre, il ne vient pas de notre monde, il ne s’achète pas avec l’or du monde. Ce n’est pas un bien que l’on possède, c’est Quelqu’un. Dieu, mon bonheur et ma joie ! Chante le psalmiste, et il ajoute : je n’ai pas d’autre bonheur que toi !

        Amen, Louange, gloire, sagesse et action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu, pour les siècles des siècles ! Chantent les anges qui se tiennent en cercle devant le Trône de Dieu. Et une foule immense leur répond d’une voix forte : Le salut est donné par notre Dieu, lui qui siège sur le Trône, et par l’Agneau ! Et nous qui sommes encore sur la terre, nous nous joignons réellement à cette foule en chantant dans notre eucharistie : À toi, le règne, à toi, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles ! Amen !       Abbaye ND de CITEAUX

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