L’EDITO de SEPTEMBRE 2017

             C’EST  QUOI  LE  PIRE ?

« Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. »

Cette maxime de Charles Péguy me permet de commencer l’année pastorale qui débute par une question choc : qu’est-ce que le pire?

Il semble parfois déprimant de constater que les rentrées scolaires, au bureau ou en paroisse, semblent répétitives, reproduisant à l’envie les mêmes dates, les mêmes repères, avec dans le calendrier l’inexorable rouleau compresseur du temps qui avance… bientôt la Toussaint… puis Noël, puis Pâques, puis… puis… Concevoir le temps qui est le nôtre comme une somme de choses prévisibles, répétitives, à terme ennuyeuses voire lassantes, Tel Sisyphe et son rocher, participe de ce qui définit une mauvaise pensée. Mais comme le souligne Péguy, le fait que cette pensée contienne en elle-même une part de négatif voire de mortifère n’est pas le pire.

Le pire est d’enfermer la réalité dans un carcan, dans des bornes et des limites toutes faites, de refuser l’occasion de mettre de la nouveauté dans sa vie, de mettre dans notre réalité, le risque d’une autre réalité. Le pire, c’est de s’enfermer dans son monde bien fait, bien pensé, au risque d’être bien-pensant pour soi, et de juger et jauger le monde à la mesure qui nous est la plus commune : nous-même. Si je voulais paraphraser notre maxime initiale, je dirais que le pire, c’est de refuser de se remettre en question, de se remettre en cause. Notre société, notre éducation, notre manière d’être, nous invitent à croire qu’être fort, c’est avoir toujours raison, de croire que, parce ce que je dis est juste (du moins je le pense), alors c’est que j’ai raison… avec pour conséquences le fait que si l’autre ne pense pas comme moi, c’est qu’il a tort ; que si l’autre ne fait pas ou ne dit pas ce que je dis ou exige, il faut soit le convertir, soit le supprimer ; que la violence, verbale ou physique, est alors légitime puisqu’elle sert à me faire justice et à manifester que le monde doit être comme j’ai décidé qu’il devait être… parce que je n’ai pas besoin de changer…  Il y a des personnes qui vous disent avec un aplomb formidable que l’on ne peut pas discuter avec vous dès lors que vous n’adhérez pas à leur pensée, qui, dès que vous le contredisez, se braquent et vous accusent de casser la discussion, pire la relation. Car la personne qui ne veut pas ou ne sait se remettre en question, non seulement s’émancipe immédiatement de ses responsabilités pour faire porter à l’autre l’entière responsabilité de l’échec, mais en plus corrompt la réalité en la transformant au point de culpabiliser l’autre, pire, de nier la pertinence de ce qu’il dit, propose, pour in fine, nier ce qu’il fait et même est.

Il y a des personnes qui, même devant l’accumulation des faits, refusent de se remettre en cause : si je perds tous mes amis, tous mes collègues… si je me retrouve seul… si je constate que dès que quelqu’un s’oppose à moi, je me braque ou me mets en colère… si je pense avoir toujours raison… ce n’est pas moi qui ne vais pas bien, c’est les autres, c’est le monde qu’il faut changer ! Le peuple a tort, changeons le peuple ; l’Eglise a tort, changeons l’Eglise; mon conjoint a tort, changeons de conjoint ; mais surtout ne changeons pas !

Pour lutter contre cette pensée toute faite, le Seigneur nous a donné entre autres deux planches de salut : la pauvreté et l’humilité. La pauvreté me rappelle sans cesse qu’il me manque quelque chose que je ne peux avoir de par moi-même : la pauvreté est une réalité qui m’oblige, qui me fait mal, qui me rabaisse, qui m’humilie. La pauvreté montre une face de moi-même qui n’est pas noble, qui n‘est pas forte, qui me fait honte, qui révèle ma nudité, voire ma vraie nature… Et comme le disait si bien Sainte Thérèse de Lisieux, il faut beaucoup d’humiliation pour faire un peu d’humilité…  La plus grande humiliation, c’est de ne plus être le centre de son monde, de soi-même. Être fort, ce n’est pas de choisir notre route, mais de prendre la route que le Seigneur nous souffle puisqu’il est le Chemin, la Vérité et la Vie. Le jésuite Pierre Van Breemen écrivait : « l’humilité véritable suppose une honnête acceptation de soi ». Nous ne sommes pas le centre du monde, nous n’avons pas besoin de toujours avoir raison, nous avons besoin des autres pour être, pour vivre, pour aimer, car nous sommes enfants de Dieu.

«Il renverse les puissants de leur trône, Il élève les humbles » nous rappelle Marie. Laissons Dieu renverser nos pensées toute faites, toutes-puissantes. Jésus, « ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, il s’est abaissé… C’est pourquoi Dieu l’a exalté » (Ph 2). Savoir se remettre en question n’est pas simplement une question de vertu ou de sagesse, c’est une question de Salut et une question d’Amour : si même Dieu s’est abaissé, si même Dieu a remis en cause son statut divin, c’est qu’il y a plus à vivre en perdant, plus à vivre en s’ouvrant, en se risquant à l’autre, qu’en s’habituant et en ayant une pensée et une âme toute faites. Au final, une pensée  toute  faite et une âme habituée sont faites pour tout sauf pour aimer… et çà c’est vraiment le pire !                           Père Franklin Parmentier

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