Réflexion sur un poète de génie, Arthur Rimbaud (1854-1891)

« Il nous faudrait encore suivre la route jonchée de croix douloureuses. Non. Cela suffit ! »

Le poète se plaint sans cesse de Jésus, il le prend à partie impitoyablement, invective contre lui, le brocarde ainsi « je ne me vois pas embarqué pour une noce avec Jésus-Christ pour beau-père », cherche à le chasser de son esprit comme un étranger importun et malfaisant, une espèce d’écharde plantée dans le coeur que l’on voudrait extirper sans qu’on y parvienne malgré toutes interventions chirurgicales !

Pourquoi revenir alors, en dépit de soi, à ce Jésus en direction de qui l’on dirige des flèches empoisonnées, mortelles, n’hésitant pas à cette forme de dérision blasphématoire. « Christ ! Ô Christ, éternel voleur des énergies. » « Ah ! Que la vie est amère depuis que l’autre Dieu nous attelle à sa croix ! »
La croix du Christ n’est pas le signe du malheur mais le sacrement de l’amour. Pourquoi parle-t-on sans répit de quelqu’un dont on voudrait qu’il n’existât point ?

Je ne sais s’il y a une réponse qui nous satisfasse pleinement. Il ne suffit pas en effet de rejeter une personne, encore faut-il expliquer à soi-même les raisons pour lesquelles on revient toujours vers elle ?
Les interpellations acrimonieuses nous révulsent et nous scandalisent car nous aimons le Seigneur et ne supportons pas qu’il soit ainsi traité mais, nous savons par expérience, que la haine accompagnée de multiples insultes rappelle souvent un amour déçu, incompris ou simplement négligé par l’inadvertance du coeur.

Sans que nous ayons à examiner les grands thèmes que renferme l’oeuvre littéraire de Rimbaud, nous pouvons découvrir à travers sa correspondance les raisons qui nous permettent d’affirmer que nous avons affaire en lui à un véritable animal métaphysique et non pas à un poète ésotérique qui consacra la seconde partie de sa courte vie à toutes sortes de pratiques commerciales dont il semblerait que certaines d’entre elles fussent peu avouables…

Entrer avec bienveillance dans la vie d’un homme, fût-il génial, requiert de notre part toute espèce d’allergie, celle, en particulier, qui consisterait à pratiquer une «surnaturalisation» à outrance au détriment d’une sublimation libératrice.

Il nous faut bien saisir le fil directeur d’une vie chaotique, d’une personnalité entièrement détraquée : pourtant, la vie explique ici l’oeuvre, l’oeuvre justifie la personne dans son opacité même. Contrairement à ce que nous pourrions proclamer, fidèles à l’esprit du temps, Rimbaud n’est pas un être dédoublé mais un être divisé.

Cette distinction essentielle à nos yeux permet à la grâce divine de se faufiler tôt ou tard à travers les interstices de l’âme humaine. Ce à quoi aspire Rimbaud, « c’est à une vérité présente, » une assurance immédiate et totale de « l’éternité même et du divin. » Rimbaud ne veut pas de dissociation entre temps et éternité, entre ciel et terre, corps et âme. « Il me sera loisible, écrit-il, de posséder la vérité dans une âme et un corps. »
Voilà une sommation que nous devons prendre au sérieux et à laquelle il nous faut nous efforcer de répondre. Car toute attente est interminable, décevante, douloureuse et conduit à des calculs mesquins, à des compromissions sordides.

« On en vient à une culpabilité, à une mentalité d’esclave qui se refuse à la liberté, dans l’espoir de la gagner. Je veux la liberté dans le salut. »
En conclusion, nous posons une question radicale, savoir : les cris de blasphème que nous entendons sur les lèvres du poète ne sont-ils pas des cris d’amour refoulé qu’il faudrait comprendre avant de disséquer l’invraisemblable refus d’une vie autre que celle que nous vérifions dans l’existence de ce génie littéraire ? Il ne suffit pas en effet de déplorer mais de comprendre l’impossibilité apparente d’un ailleurs recherché…

C’est pour cela que nous devons étudier Rimbaud, l’aimer et prier pour Arthur.

Chanoine Christian Neumann

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