L’édito de mai

                                                    Le   mystère   pascal

Thomas résume en sa personne toutes les contradictions de notre nature humaine. Il veut voir pour croire mais oublie qu’il faut croire pour voir. En effet, les vérités les plus hautes ne peuvent nous être assenées comme nous sont distribués des billets de loterie dont on peut espérer qu’ils nous dispenseront la Fortune, et qu’ainsi nous serons riches dans la diversité de ce qualificatif.

Thomas oublie que pour rejoindre le Seigneur, il nous faut non pas briser mais transcender les différents ordres dont est composé notre monde. Oui, transcender est plus adéquat que briser. Car il ne s’agit point de victoire que  nous remporterions sur la réalité telle qu’elle est : je brise un destin funeste pour accéder à une destinée que j’aurais moi-même forgée ! C’est là prétention à nulle autre pareille. C’est là ne point croire à l’ordre de la grâce, de la charité, mais concevoir un monde dont l’homme par sa seule vertu serait l’origine et la fin : le péché luciférien dans toute son ampleur métaphysique et dans toute son horreur existentielle !

Thomas ne prend pas en considération deux événements de la vie de Jésus, et donc de la sienne, l’un qui précède la mort et la résurrection du Seigneur, l’autre qui est l’objet de notre Evangile aujourd’hui même. Les deux événements sont mystérieux et ne peuvent être compris et résolus que par un acte d’amour parfait, celui que pose le Christ pour convertir Thomas aux mœurs du Ressuscité. « Seigneur, dit l’incrédule, avant la Passion, nous ne savons pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ? ».

A quoi lui répond Jésus « Moi, je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jean 14, 5-6). Il n’est point étonnant que cette affirmation ait bouleversé Thomas et que celui-ci ait dû se la rappeler en contemplant ou plus simplement en regardant la croix sans gloire où gisait le crucifié !      Ce furent des paroles fallacieuses, de pieux mensonges pour rassurer un être timoré, un fidèle qui croit ce qu’enseigne son gourou.

Nous sommes, vous et moi, quoi que nous en disions, dans les mêmes dispositions d’esprit et n’hésitons pas à répéter avec superbe ou sans éclat « Moi, vous savez, je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce dont je fouille la blessure. »

La réponse, et c’est le second événement du jour, est celle du crucifié entré dans la gloire de la Résurrection. « Porte ton doigt ici et vois mes mains ; et porte ta main et place-là dans mon côté ; et ne sois plus incrédule, mais croyant » (Jean 20, 27). Pourquoi cette injonction, cette exploration quasi indécente d’un corps que d’aucuns nommeraient un cadavre ? Voilà le mystère qui défie les lois de la nature, laisse inquiets les chrétiens et, narquois, les sceptiques. Tout ce que nous venons de dire nous rappelle que nous sommes placés derechef devant le secret d’amour et de miséricorde de notre Dieu. Si nous sommes à la fois surpris et étonnés par ces événements, c’est parce que nous doutons trop souvent de cette double réalité, historique et transhistorique : dans le mystère de la vie, de la mort et de la résurrection du Seigneur, l’Eternité entre dans le temps et l’espace, ce que veut signifier, signifie effectivement : l’Incarnation du Verbe éternel de Dieu et donc de Dieu soi-même dans le sein virginal de Marie est la preuve suprême et insurpassable de l’amour et de la miséricorde infinis de la Trinité Sainte envers l’humanité tout entière.

C’est en effet dans cette profession de foi chrétienne, dans ce « Credo », que nous découvrons la signification inaltérable de cette scène et de ces paroles de Jésus que nous méditons en ce temps pascal : « Avance ici ton doigt, et vois mes mains, avance ta main et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant ». Je ne sais pas si nous avons pris un jour toutes les dimensions de cette rencontre insolite et des paroles qu’elle contient. Ce n’est pas en effet une scène surréaliste, un dialogue entre un fantôme et un pauvre individu désemparé, en un mot une hallucination collective qui apprêterait à rire les esprits forts.         La réalité théologique, religieuse, mystique de cet événement nous est donnée par la Foi elle-même : les plaies, le côté ensanglanté de Jésus ressuscité, signes authentiques de la Passion, attestent l’amour insensé que le Seigneur éprouve pour vous et pour moi, pécheurs que nous sommes ; et ce qu’il y a de plus extraordinaire,  l’église l’affirme sans ambages,  ces signes, ces marques sont indélébiles, ineffaçables et donc restent et resteront éternellement dans la chair transfigurée, dans le corps métamorphosé du Christ Ressuscité, que l’on appelle corps glorieux, et ce, comme preuves irréfutables non seulement du fait historique de la mort de Jésus en croix, mais de sa présence d’amour dans l’univers.

Faut-il qu’après cela nous définissions des concepts aussi délicats, aussi subtils à manier qu’amour et miséricorde –

Je vous rappelle que nous célébrons aujourd’hui le dimanche de la miséricorde institué par Saint Jean-Paul II – et qu’amour et miséricorde sont indissolublement liés ? Je ne le pense pas. Nous devons à la suite de Thomas poser un acte de foi en Christ, Dieu et homme, et répéter à genoux « Mon Seigneur et mon Dieu ».

Homélie du Père Neumann, 2ème Dimanche de Pâques, Eglise Ste Marguerite

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