L’évangéliste nous invite à pénétrer discrètement dans la maison de Lazare – que Notre-Seigneur vient de ramener à la vie – pour y participer à un repas familial, donné « en l’honneur de Jésus ». A travers le partage de la nourriture, les convives rendent grâce pour le don de la vie et fête les retrouvailles, dans la joie d’être rassemblés sous le regard du Père.
Le clan des hommes discute, tandis que les femmes s’affairent sous la direction de Marthe, la maîtresse de maison. Et voici que Marie, l’autre sœur de Lazare, prend une initiative imprévue : elle verse « un parfum très pur et de très grande valeur sur les pieds de Jésus ». Ce genre de parfum était gardé dans une amphore scellée qu’il fallait briser pour ouvrir ; ce qui exclut de n’en utiliser qu’une partie : la libation était nécessairement totale. L’action parle d’elle-même ; d’autant plus qu’elle est accompagnée d’un geste qui en dit long sur les sentiments de Marie envers Jésus : « elle essuie les pieds du Maître avec ses cheveux ». Nous aimerions contempler en silence ce témoignage éloquent de respect et d’amour, mais la remarque de Judas vient rompre le charme. En critiquant ce qu’il considère comme une dépense inconsidérée, et en argumentant que ce parfum aurait pu servir à des fins plus utiles, il oppose ouvertement l’amour du Maître au service du prochain. Son intervention, apparemment motivée par des fins charitables, sonne néanmoins faux ; et l’évangéliste confirme notre malaise en précisant les motifs cachés de Judas : « Il parlait ainsi, non parce qu’il se préoccupait des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait pour lui ce que l’on y mettait ».
La réponse de Jésus va ouvrir sur une perspective inattendue : au milieu de ce repas qui célèbre la vie, Jésus interprète le geste de Marie comme une anticipation prophétique de sa mort. Mais l’action de Marie ne saurait pour autant être interprétée comme un trouble-fête ; tout au contraire, le regard éclairé par l’amour, cette femme a perçu que le don de la vie dont jouit son frère, jaillit de la mort à laquelle Jésus va consentir. Aussi son geste, loin d’étouffer la joie de cette rencontre, « remplit-il la maison par l’odeur du parfum » de sa reconnaissance émerveillée et sans borne envers Celui qui n’hésite pas à donner sa vie pour son ami.
La fin de la péricope confirme cette interprétation. Après nous avoir permis de goûter quelques instants d’intimité familiale, nous voilà projetés à nouveau au milieu de la foule accourue par curiosité ; collectivité bruyante, manipulable à souhait par les chefs des prêtres qui s’en serviront bientôt pour obtenir de Pilate la mort de Jésus. Mais la vérité du drame qui se noue ne se découvre pas du côté des intrigues politico-religieuses : « Nul ne me prend ma vie dira Jésus, mais c’est moi qui la donne ». Marie l’a perçu intuitivement : c’est Jésus et lui seul, dans la liberté souveraine de son amour, qui conduit chaque étape de sa Passion selon le dessein de miséricorde du Père. Lui le Vivant veut descendre dans nos tombeaux, afin de nous permettre de prendre place à ses côtés au Banquet du Royaume.
En ce jour, la seule chose que nous puissions offrir au Seigneur en signe de reconnaissance, c’est le parfum de notre adoration et de notre tendresse respectueuse, la bonne odeur de l’Esprit qui se joint à notre esprit pour nous apprendre à rendre grâce.
Préparons-nous tout au long de cette semaine sainte à accueillir dans nos cœurs, le Seigneur vainqueur de la mort qui veut nous introduire dans sa joie.
Je vous souhaite une bonne semaine sainte!
Père Angelo LALEYE